extrait tiré de la biographie d'Henri Bosco par Robert Ytier
Henri Bosco, que représente pour vous le Château de Lourmarin ?
Le Château de Lourmarin représente pour moi du point de vue littéraire un point d'arrivée et un point de départ. Comme point d'arrivée, c'est la fin d'une période qui est un échec. Et le point de départ c'est le commencement d'une autre période littéraire, qui m'a conduit à certains succès que vous connaissez.
Par conséquent c'est une occasion extraordinaire dans mon existence d'être venu dans ce Château et d'y avoir été attiré par ces amis que j'ai connus en Orient, que j'ai connu à Salonique bien avant le château en 1916 le château qui a réuni un certain nombre d'amis ici, ceux qui s'étaient rencontrés en Orient, et qui ont créé une espèce d' atmosphère littéraire, artistique,etc. ; n'est-ce pas qui m'a mis dans une sorte de "bain" comme on dit aujourd'hui, et ce bain en somme, qui avait aussi quelque chose de magnifique, nous a tous portés vers un même idéal de culture classique, de renouvellement du classicisme.
Le point de départ c'est cela. Et en même temps le château m'a permis surtout de voir le Luberon et de le connaître. Vous remarquerez que je n'ai rien écrit sur le Château, cela aurait pu tenter un écrivain, un roman historique, où que sais-je. Non, ça ne m'a rien dit. Le Château c'est le château, il se suffit à lui même. C'est un véritable poème qui est beau, qui est parfait.
Mais il m'a mis en présence d'une chose mystérieuse, cette montagne que j'ai explorée depuis, dont je vous parlais précédemment, et qui m'a permis de puiser une inspiration nouvelle, qui m'a réussi, et qui m'a fait écrire une vingtaine de romans, peut-être plus encore ? Voilà l'importance du Château pour moi. Et surtout, la rencontre de certaines amitiés qui sont inoubliables,(nde: lettre de Henri Bosco à Noël Vesper) le Fondateur Laurent Vibert, homme estimable entre tous véritablement à tous points de vue, de l'intelligence, de l'érudition, de animation...
C'était un homme merveilleux, ce n'était pas un mécène, comme on dit, ce n'était pas le fait qu'il donnait de l'argent, c'est le fait qu'il « donnait de l'intelligence » qu'il donnait l'occasion de se rencontrer, et qu'il a fait en somme cette maison...
Un haut lieu de Provence, certainement, je le crois aujourd'hui. Le Château, ça a été la maison de l'amitié. J'espère que ça l'est toujours C'est cela qui compte pour moi.
Henri Bosco, il y a dans ce Château des bibliothèques absolument considérables. Quelle part avez-vous eue dans la construction de ces bibliothèques ?
Quand Laurent Vibert est mort, il habitait une grande maison à Lyon qui contenait un grand nombre de livres et de meubles. Monsieur Prèle, l'exécuteur testamentaire à qui l'on doit beaucoup m'a chargé, ainsi que Georges Raymond, d'organiser le château. Peu de pièces étaient organisées à l'époque. Alors, je suis allé à Lyon, nous avons transporté 36 tonnes de mobilier et de livres, c'est à dire six voitures de déménagement de six tonnes qui sont arrivées ici sur la terrasse du dessus, au mois de juillet. S'il avait plu c'était un désastre ! il n'y avait pas de moyen de faire autrement.
Puis nous les avons rentrés dans la salle Martin et là avec Georges Raymond, tous les deux, et avec très peu d'argent, pour ainsi dire pas, nous avons énormément travaillé avec nos propres mains. A ce moment là j'étais plus jeune nous avons porté des fardeaux très lourds, des tables sur le dos, et nous avons classé et posé où il fallait que ce fùt posé, du moins suivant la pensée de Laurent-Vibert. Nous la connaissions très bien.
Nous avons réalisé cette pensée. Mais il fallait quand même un spécialiste du livre pour arranger ces bibliothèques de façon assez scientifique. Ce fut moi, je ne me vante pas, c'est un peu mon métier de naviguer au milieu des livres. Alors, j'ai rangé ces bibliothèques, mais volume par volume, et il y 42.000 pièces !
Dans toutes ces bibliothèques dans toutes les salles du Château qui sont classé, littérature moderne, littérature ancienne, histoire, géographie, voyages, etc. histoire des Beaux Arts. J'ai passé cinq mois. J'ai demandé un congé à l'université dont je faisais partie, et j'ai travaillé seul ici, en compagnie d'un chien magnifique, qui aurait pu me défendre s'il y avait eu des bandits qui m'avaient attaqué. C'était ma seule compagnie à ce moment-là.
Il n'y avait pas de chauffage, pas d'éclairage électrique. J'avais une petite lampe à pétrole, et comme chauffage un petit fourneau à pétrole, je me mettais derrière deux paravents, cela faisait une petite chambre portative. J'ai eu les doigts gelés un certains nombre de fois, mais la chose a été faite, et j'ai fait un inventaire, vous voyez, un inventaire de tout, du mobilier, des chaises, des petites tasses, etc..., car on pensait qu'il y aurait un procès... Du reste, c'est ce qui c'est passé. Il fallait que l'exécuteur testamentaire ait toutes les pièces voulues dans les mains pour pouvoir gagner la partie. Un inventaire en double exemplaire de 42.ooo volumes et puis un grand nombre de pièces, vous voyez ce que ça représente comme travail...
Eh bien si je suis ici, je crois que je l'ai un peu gagné, non seulement à cause de ça, mais à cause d'autre chose, mais beaucoup à cause de ça au départ.
Écoutez, c'est mon arrivée ici. Je ne connaissais pas Lourmarin. Je suis avignonnais, ça n'est pas très loin, mais on ne venait pas à Lourmarin. Personne ne venait à Lourmarin. Laurent Vibert me donne rendez-vous à la gare de Cadenet, et il me dit : « je viendrai te chercher en voiture » il avait une magnifique voiture, une espèce de palace roulant, à cette époque c'était une chose extraordinaire.
Il n'est pas venu avec cette voiture, il est venu avec une vieille calèche, de l'hôtel Olier, qui avait quatre roues, qui devait en perdre une en cours de route tellement elle brinquebalait, deux vieux chevaux maigres. Ils m'attendaient en gare de Cadenet. Gare nostalgique, où il passait un train de temps en temps, du reste c'est la même chose aujourd'hui. Je suis descendu de mon wagon de 2 eme classe, au toit bas, éclairée d'une lampe à huile, c'était tout à fait pittoresque.
J'ai vu mon ami sûr le quai de la gare avec une dame qui l'accompagnait. Et quand j'ai vu cette calèche brinquebalante, avec le propriétaire le père Olier qui faisait du reste, c'est une parenthèse, une excellente cuisine, je suis monté là-dedans et savez-vous combien nous avons mis de temps pour faire 3km 500 ? : une heure.
Les chevaux soufflaient à la moindre montée, à la moindre côte, il fallait les laisser reposer. Et quand même ça avait un charme extraordinaire. On est arrivé dans cette vieille auberge, qui sentait admirablement bon le civet de lapin. Il y avait des amis qui nous attendaient là, on a fait un bon dîner. Ça a été un moment de joie extraordinaire.
Et en sortant, j'ai vu, cette montagne, j'étais pris, c'était fini, j'étais devenu Lourmarimois... Après nous sommes venus au Château, qui n'était pas entièrement restauré, il y avait des terrassements en grande partie. Et ça m'a bouleversé, et le bouleversement dure toujours et quand j'en parle, je n'en parle pas sans un tremblement dans la voix.